Ce qui fait que je suis moi, c’est que je suis cassé en deux, que je m’éloigne de moi constamment pour être Moi. D’où, ici, la prise de position qui est celle, non pas de contemplation de soi-même, de connaissance de soi, mais au contraire, d’arrachement à soi, de dépossession de soi. Si l’on professe qu’il y a un seul savoir, qui est le savoir de Soi, attention ! C’est ce savoir de Soi qui est Soi – il n’y a pas un Soi préexistant. Ce savoir de Soi, ce n’est pas connaître “moi”, “je”, ich, ego. C’est dans le mouvement inabouti, inaccompli que se fait l’accomplissement de soi. C’est ce “vers Soi” qui est Soi, mais il n’y a pas quelque chose qui est Soi – c’est un mouvement. Ceci nous met en contact avec un monde intermédiaire, avec un monde de visions. Ce dont nous parlons s’attache à ce que l’on pourrait appeler un monde visionnaire, un état visionnaire, contemplatif, qui est présent en nous tous, mais qui est occulté par l’état apparent, par la lettre de ma nature humaine. L’état visionnaire est un état qui fait taire cette première évidence, qui l’oblitère, qui occulte finalement la lettre de la nature humaine, pour rendre apparente sa réalité plus profonde, celle de ma nature dans laquelle Dieu s’engendre afin d’être engendré par la nature.
Mounir Hafez -25 février 1987