Deleuze parle du lisse et du strié. Il y a un espace lisse en moi, qui n’est pas strié par les événements. C’est mon espace intérieur, indépendant des événements qui lui donnent consistance. Lorsqu’il ne m’arrive rien, lorsqu’il ne se passe rien, quand il n’y a pas de perceptions, de sensations, d’émotions, de pensées, de vouloirs, il n’y a plus personne, l’espace n’est pas strié. C’est l’espace lisse, là où je n’ai pas besoin qu’il y ait un événement pour me sentir être. Pas besoin qu’il y ait des sensations, du plaisir ou du déplaisir pour me sentir être. Attention, me sentir être ne veut pas dire savoir que moi je suis moi. Ou qu’il y a un autre moi, plus intense que le moi que je connais et par lequel je me ressens moi. Non! Permettre « que se fasse dans l’âme un surcroît d’humanité », une autre humanité, – comme le dit Elisabeth de la Trinité -, un autre univers dans lequel j’apparaîtrais autrement humain que je ne suis humain dans cet univers-ci.
Mounir Hafez – 10 mars 1993