Sa vie

Mounir Hafez est né à Alexandrie, le 26 septembre 1911 à 17 h 20, dans la ville de Ptolémée et de St Cyril, sur la partie occidentale de la presqu’île de Pharos, au Palais (construit sur le plan du sérail de Constantinople, ravagé depuis par un incendie). La sage-femme ne l’ayant déclaré que le 28 septembre, son acte de naissance porte cette dernière date.

Il est descendant de Mohamed Ali El Kebir, fondateur de l’Egypte moderne. Sa cousine Farida sera reine d’Egypte, épouse du roi Farouk. Son oncle Youssef Zulficar Pacha est ambassadeur d’Egypte en Iran, son grand-père maternel fut gouverneur du Caire. Son grand-père paternel Mohammed Hafez Pacha, né en Bosnie-Herzégovine, fut ministre des finances. Son arrière-grand-mère maternelle était une circassienne blonde aux yeux bleus, du pays des Tcherkesses du Caucase.

Sa mère, la princesse Nadgia Zulficar (Voir Article Entretien du Père Giulio Bassetti-Sani avec Madame Nadgia Zulficar) reconnue pour sa ferveur mystique, son érudition et son hospitalité envers les religieux, fut avertie par les présages de maîtres sur les dons et la vocation exceptionnelle de son fils. Se retirant alors discrètement des réceptions et des fêtes, elle prît l’habitude d’inviter et de protéger les soufis errants, les entourant de soins. Elle suivit l’enseignement de l’ordre des Baktashi. Elle était végétarienne, et dormait sur un matelas à même le sol. Mère et fils partageront leur passion pour Sohrawardi, Ibn Arabi, et Al Hallâj, ainsi que pour la mystique chrétienne. Elle accompagnera son fils jusqu’à en devenir la disciple. Son palais était également ouvert aux savants, chercheurs et religieux occidentaux*.

Mounir a sept ans lorsque, lors d’un voyage familial à Venise, sa mère prend la décision de divorcer, voulant, au grand dam de la famille, se défaire de ce mariage arrangé.

En pleine nuit, elle « enlève » Mounir et ils rejoignent Marseille en bateau, avant de s’installer au 44, rue du Bois de Boulogne, à Neuilly sur Seine. Nadgia Zulficar s’intéresse à la psychanalyse, mais surtout à la mystique, autant chrétienne que musulmane.

Pendant plusieurs années, Mounir est inscrit à l’école sous un nom d’emprunt, celui de son grand-père, afin de ne pas pouvoir être retrouvé par sa famille. Il poursuit ensuite ses études au Collège de Saint Germain-en-Laye, dans la même classe que Jean Lescure et Armel Guerne, dont il restera à vie l’ami, puis au lycée Janson de Sailly à Paris.

Son père s’étant remarié et sa famille apaisée, Mounir peut retourner à Alexandrie pour ses vacances scolaires avec sa mère, qui veille à ce que les meilleurs érudits en arabe littéraire s’occupent de son fils. Avec ses grands-parents, oncles et tantes il parle le turc, avec son père et sa nurse l’anglais, avec sa mère et ses cousins et cousines le français.

C’est à 14 ans, lors de ses vacances à Alexandrie, qu’au Port-Vieux il tombe dans la mer, son pied restant coincé dans sa bicyclette. Il échappe miraculeusement à la noyade, sauvé par un élégant promeneur anglais qui se jeta à l’eau tout habillé, avec son cigare. Est-ce son expérience du « numineux » qui lui ouvre alors la mémoire ? Ou savait-il depuis toujours ? C’est alors qu’il vit et traversa sa mort. Cet instant hors temps lui fait faire l’expérience d’un amour immense, absorbant et calcinant tout, ouvrant tous les niveaux de Réalité.

Grand-père de Mounir Hafez

Son père meurt d’un infarctus en 1928. Mounir a 17 ans et se rend pour les obsèques au Caire, en cette année de ses deux baccalauréats : certificats de physique, de chimie et de sciences naturelles. S’en suivent une licence de philosophie et de psychologie à la Sorbonne, après lesquelles Mounir s’orienta vers la médecine, et plus particulièrement vers la psychiatrie.

Il fait un stage de deux ans à l’hôpital Sainte Anne, notamment auprès des professeurs Georges Dumas, André Ombredane et de Jacques Lacan. Il y étudie l’aliénation mentale, se consacrant notamment à distinguer la folie simulée des vrais délires. Il se penche aussi sur les éléments de l’expérience mystique se manifestant par des hallucinations visuelles et auditives, notamment chez certains artistes, comme Antonin Artaud dont il devint proche. Il travaille à clarifier la physiologie des corps subtils et les organes de perceptions suprasensibles, complétant ainsi l’approche de la psychiatrie moderne par celle basée sur l’expérience spirituelle des grandes traditions.

C’est à l’âge de 22 ans, qu’il épouse Adrienne Episcopopoulos de Ségur, graphiste et illustratrice d’origine grecque de 33 ans. Ils s’installent au 115 rue Notre-Dame des Champs, d’abord au 4ème étage, aux côtés de la mère d’Adrienne puis, à la mort de Bleeck, ami peintre très aimé, ils déménagent dans son appartement devenu vacant au 7ème étage.

Pendant la guerre, ils vivent brièvement en Bretagne où Adrienne est infirmière volontaire à l’hôpital. Mounir souhaite retourner à Paris où, en arrivant et malgré les avertissements de la gardienne, il se réinstalle dans son appartement au 115 rue Notre-Dame des Champs. Arrêté par la Gestapo du fait de son origine égyptienne, il est finalement libéré sur ordre de von Ribbentrop, grâce à l’intervention de son cousin, le Shah d’Iran.

Après le coup d’Etat de 1952, toute la famille royale égyptienne prend le chemin de l’exil, d’abord vers l’Italie, s’installant ensuite à Lausanne où Mounir les visita souvent. Ses cousines, les trois filles du roi Faruk, la princesse Fawzia, la princesse Faiza, et la princesse Faika, résidèrent dès lors en Suisse.

Lors d’une de ses visites rendues à son oncle à l’hôpital de Vevey, une poutre en métal tombe sur la tête de Mounir, qui reste longtemps dans le coma. Il est soigné durant plusieurs mois à l’hôpital par sœur Madeleine, qui le bouleverse par sa dévotion et sa foi chrétienne ardente. “ Mon intelligence féroce et indomptable était mise à genoux par la sainte Présence ” dira-t-il de cet accident et de cette rencontre.

En 1961, il passe une journée à Paris avec Swamî Ramdas qui le bouleverse profondément. Quatre jours avant que leur rencontre ait lieu, et sans même savoir qu’elle allait avoir lieu, Mounir est saisi par des larmes spontanées, et sent comme une fièvre monter à l’intérieur de lui, c’est “ l’appel de la chair spirituelle ” de « Baba ».

En 1962, son grand ami, Louis Massignon est rappelé au ciel. La messe d’enterrement est célébrée à l’église St François Xavier, “ et Massignon y était debout, flamboyant ! ” dira-t-il après.

En 1972, au Caire, la mère de Mounir naît au ciel, entourée de Névine et de Mary Kahil, amie fidèle de Louis Massignon. Elle est enterrée à la Cité des Morts, au pied du Gébel Moqattam dont les grottes et carrières abritaient des Confréries Soufies qu’elle protégeait.

En 1980 Adrienne, son épouse, décède et est enterrée au cimetière de St Gervais, près de Blois.

En 1993, Mounir épouse Jeannine Brunet professeur de yoga, de 57 ans.

En 1995 il est naturalisé français.

Le 20 novembre 1997, Mounir doit se faire opérer d’une tumeur au genou droit à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. La veille de l’opération, la transfusion déclenche une hémorragie cérébrale. Il est inopérable et, après un mois de souffrance à l’hôpital, il est ramené à son domicile où il s’éteint le 1er janvier 1998 à 17 h, dans sa “chambre bleue”, âgé de 86 ans, entouré de sa femme, de Marguerite K. et de Dorothée K.

A son ami Charles Duits il avait confié : « Sur mon lit de mort je dirai : Je n’ai pas été le témoin de ce dont j’ai été le témoin. »

Mounir est inhumé au Cimetière Montparnasse le 7 janvier 1998.

Pir Vilayat Inayat Khan procède à un rituel d’adieu, Gildas Le Bideau président de la Fraternité d’Abraham dépose une couronne au nom de celle-ci, tandis qu’Emile Moatti son vice-président entonne un chant en hébreu. Jacqueline Kelen de France Culture lit avec Marguerite Kardos le texte “ Le Féminin-Créateur ” d’Ibn Arabi (traduit par Osman Yahia de Damas, très cher ami de Mounir Hafez, décédé peu avant lui le 4 novembre précédent). Dominique Lhomme dit une prière de St François d’Assise, Riadh ben Abdallah chante la Fatiha et quelques versets du Coran. Mgr. Germain avait effectué le rituel orthodoxe auprès de Mounir deux jours auparavant, ne pouvant être présent ce jour-même. Les amis et proches présents chantent la Mémoire éternelle et l’Alleluia orthodoxe, avec les membres des groupes de Zürich et de Paris que Mounir animait. Mme Degottex, Jean-Claude Marol, Françoise Chamska, Mme Arthémis Lavastine, Yves Jaigu, Jacques Rauffet, J-C D. Varga sont venus se recueillir avec eux sur sa tombe.

(* Pendant plusieurs décennies, Nadgia Zulficar accueille régulièrement Louis Massignon et Henri Michaux, Fritjhof Schuon et Martin Lings, Enel et Schwaller de Lubicz, Jacques Lacan et Constantin Kavafy, Eva Daumal et de nombreux artistes, poètes, savants et religieux qui bénéficieront de sa générosité et de son hospitalité. Sa meilleure amie est la chrétienne melkite Mary Kahil, fondatrice avec Louis Massignon en 1934 de la Badaliya, puis, en janvier 1940 du centre d’Etudes Dar es-Salam*, « la Maison de la paix » au Caire, véritable centre œcuménique en lequel Mounir donnera des conférences pendant plus de dix ans (entre 1948 et 1960), notamment sur les mystiques musulmans. Animèrent et participèrent à ce centre : Louis Massignon, Louis Gardet, le père Anawati, Frère Voillaume et de nombreux d’autres.)