Ses études, recherches et enseignements


Dès le début des années 30, Mounir Hafez a partagé sa vie entre la France et l’Egypte, où il s’imprégne en profondeur de la tradition soufie, fait des rencontres, et séjourne en différentes Tariqas. Il s’y engage en une longue retraite solitaire dans le désert de Wâdi Natrun, près d’Alexandrie. Ses rencontres d’alors avec des aimantés, des fous de Dieu, ceux-là qui crient des prières sous un soleil ardent, le marqueront à jamais. Mounir voulant rester dans un isolement absolu, sa mère dépose de la nourriture devant sa cabane, que souvent il néglige. Il vit des expériences très fortes du monde suprasensible. Il reçoit la visite de Khedr, le Maître des sans-maîtres, ainsi que celle des Veilleurs, Sohravardi et Ibn ‘Arabî. « Les Cavaliers de l’Invisible me soutenaient », dira-t-il par après.

Par après, toujours en Egypte, il poursuit ses recherches sur la mystique musulmane. Avec Louis Massignon il visite les tombes des saints, afin d’établir une topographie des lieux saints en terre d’Islam. Il donne des conférences au Mardis de Dar es-Salam au Caire pendant plus de dix ans, entre 1948 et 1960, développant de nombreuses approches des mystiques musulmanes. Dar es-Salam était un véritable centre œcuménique où intervenaient Louis Massignon, Louis Gardet, le père Anawati, le frère Voillaume ainsi que de nombreux autres participants chrétiens et musulmans.
A Paris, Mounir Hafez suit, ainsi que sa mère, l’enseignement de Louis Massignon, à la chaire de Sociologie musulmane au Collège de France, dont celui-ci était le titulaire, ainsi qu’à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, section « Islamisme et religions de l’Arabie ». Henry Corbin succédant à Louis Massignon à cette dernière en 1955, Mounir poursuit ses travaux et recherches avec celui-ci, notamment sur les mystiques iraniens, Sohravardî, Rûzbehân de Shîrâz, sur Ibn ‘Arabî, et sur la Sainteté en Islam, en particulier sur les thèmes de la Lumière, de la substitution et de la compassion dans les mystiques arabes qui le passionnaient. Sur la demande de Jacques Berque, il reprendra avec lui l’exégèse du Coran.


Dès 1939, Mounir commence à publier des poèmes et plusieurs textes philosophiques et littéraires. Il trouve ses meilleurs amis au sein du mouvement surréaliste. André Breton le découvre et recommande la publication de ses poèmes. Ceux-ci paraissent dans différentes revues littéraires : Feuillets inutiles de Jacques Maret, Messages, revue de Jean Wahl et de Jean Lescure, dont il devient membre du Comité Directeur, Les Quatre Vents d’Henri Parisot, La Part du Sable de Georges Henein. C’est à cette époque que débute sa profonde amitié avec Henri Michaux, poète et peintre avec lequel il eut, selon ses propres mots, « une intimité inexprimable, incompréhensible ». Mounir se passionne pour l’art contemporain, et Solange de Turenne l’invite à inaugurer de nombreux vernissages à Paris, ainsi qu’à rédiger les catalogues des artistes exposés.
En juin 1941, en pleine occupation allemande, il participe à une réunion, organisée par Marcel Moré dans son appartement quai de la Mégisserie, au cours de laquelle Jean Daniélou et Georges Bataille débattent du thème du péché. Avait été convié « tout le gratin de l’intelligentsia parisienne : Arthur Adamov, Maurice Blanchot, Simone de Beauvoir, Albert Camus, le père Couturier, le père Daniélou, Gaston Gallimard, Maurice de Gandillac, Pierre Klossowski, Michel Leiris, Jean Lescure, Jacques Madaule, Gabriel Marcel, Louis Massignon, le père Maydieu, Maurice Merleau-Ponty, Mounir Hafez, Jean Paulhan, Jean-Paul Sartre… », comme en rendait compte l’un des participants, Pierre Prévost. A la suite de ces conférences qu’il organisait, Marcel Moré créa la revue Dieu Vivant, aux travaux de laquelle Mounir participe activement, aux côtés de Louis Massignon, Gabriel Marcel et Georges Bataille…


En 1944, il retrouva par hasard son ami Jean Lescure, perdu de vue depuis la fin de leurs études, qui l’invite à participer au Comité de rédaction de la revue Messages.
En 1946 Mounir rencontre Armand Marquisé, au moment où celui-ci fonde les Petits Frères des Pauvres. Profondément touché par la compassion, la dévotion et l’offrande de toute sa vie à la souffrance humaine, ils deviennent inséparables à vie.
Entre 1948 et 1958, il se consacre presqu’entièrement à des recherches sur l’histoire des Sciences Traditionnelles et, de manière opérative, plus particulièrement à l’Alchimie. A la Bibliothèque Nationale il traduit plusieurs anciens manuscrits arabes consacrés à cet art. Avec René Alleau, ils échangent sur leurs approches respectives et, semblablement, entretient une relation amicale avec Eugène Canseliet. C’est à cette époque, qu’il retrouve R.A. Schwaller de Lubicz à Grasse, avec lequel il avait déjà pratiqué l’égyptologie à Louxor, ainsi qu’auparavant avec Enel à Alexandrie, à l’écoute des mystères de la science sacrée égyptienne. Mounir évoquait avec enthousiasme leurs visites nocturnes au musée du Caire, où les momies et statues semblaient devenir de réels interlocuteurs. C’est à Grasse qu’il fait la connaissance de Marie-Madeleine Davy, avec laquelle se noue une amitié à vie.
Au Caire, il participe aux réunions des Amitiés Françaises en compagnie de Jean Lacouture, Robert Bréchon, Gabriel Bounoure, Georges Henein, Edmond Jabès, Henri Michaux. En 1949, il est ainsi décoré Officier d’Académie (Palmes) par le Ministère de l’Education Nationale pour services rendus à la culture française en Egypte.

En 1955, lorsque Henry Corbin succède à Louis Massignon à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Mounir en devient élève titulaire. Ils travaillent ensemble à approfondir les thèmes de l’Imagination créatrice d’Ibn Arabî, du Mundus Imaginalis, de Hurkalya, Terre des visions, au travers des textes soufis. Il se plonge dans la “ physiologie du corps de résurrection, et les organes de perceptions suprasensibles ” comme passage possible entre l’expérience des traditions spirituelles et l’approche de la psychiatrie moderne, dont il ne cesse de suivre l’évolution.
Par l’intermédiaire de son ami Armel Guerne, il se voit confier la relecture de sa traduction des « 1000 et une Nuits », ainsi que la réédition d’un volume de Gérard de Nerval. Il séjourne souvent en Irlande et à Athènes où il écrit des pièces de théâtre (Abraham en Egypte).

Il collabore avec Pierre Brisson à “ Jeune Afrique ” à Paris et à Rome, en tant que journaliste. Il effectue aussi diverses traductions de l’anglais pour les éditions Stock, Fayard et Flammarion, notamment Les Mythes Grecs, de Robert Graves, et L’aube de l’islam de Desmond Stewart.

Durant les années 60, Mounir fréquente le cercle d’amis qui se réunit autour de Philippe Lavastine, dont faisaient aussi partie le Dr Frédéric Leboyer, Yann Le Tourmelin, Michel Random et de nombreux autres personnalités, intellectuels et gens de Lettres.
Durant les années 60 et 70, il participe à plusieurs colloques de sciences religieuses du Cercle Eranos à Ascona en Suisse, d’abord avec Louis Massignon puis avec Henry Corbin, travail prolongé ensuite à l’Université Saint-Jean de Jérusalem.

En 1956 Mounir dirige un Groupe de Recherche sur le Symbolisme avec le Dr. Unwald, F. Schwaller de Lubicz, E. Canseliet, René Alleau et Robert Amadou. Ce dernier publie en 1955 à La Tour St Jacques l’étude de Mounir Hafez sur “ Ibn ‘Arabî et Hallâj ”.
Durant la même période, il publie différents articles sur les courants actuels de la pensée, ainsi qu’un texte important, en 1958, sur Les formes apparitionnelles dans un numéro de l’United States Lines Revue, Paris – New York, auquel participaient aussi Matila Ghyka, Werner Heisenberg, Pierre Boulez, Stéphane Lupasco et Georges Mathieu.
En 1959, l’Education Nationale lui accorde une bourse de deux ans au titre “ des Arts et des Lettres ”.
A l’O.R.T.F., il participe à une série d’émissions du service de la Recherche avec André Voisin et Pierre Schaeffer.
En 1960, il devient membre du comité de rédaction de la nouvelle revue “ Hermès ” (consacrée à la spiritualité dans les différentes traditions) aux côtés de Jacques Masui, Lilian Silburn, Gabriel Germain, J. Paulhan, M. Eliade, et toujours H. Michaux et H. Corbin. Il y rédige aussi des chroniques sur les livres paraissant sur ces thèmes. Il écrit un long texte sur l’Amour courtois.
Dès 1964, il est membre de la Société de Culture européenne dont le siège est à Venise.

A partir de 1965, il intervient régulièrement à « L’Homme et la Connaissance ” chez Susanne N. André ainsi que chez Maryse de Choisy, qui l’invite à participer au Colloque qu’elle organisait à l’Abbaye de Royaumont. Il est régulièrement invité chez Mme Suzanne de Tézenas, en compagnie de Stéphan Lupasco, Jacques Lacan, Jean Laplanche, des musiciens Pierre Boulez, Gilbert Amy, des poètes et écrivains Eugène Ionesco, Roger Caillois, Armand Gatti, Jean Paulhan, René Char, Jules Supervielle, et des peintres comme Nicolas de Staël, Balthus,…
Dès 1967 il est membre du comité de parrainage de la Fraternité d’Abraham avec Jacques Nantet et Pierre Emmanuel. Il y donne de nombreuses conférences.
En 1972, il intervient à France-Culture dans plusieurs émissions des Chemins de la Connaissance, animées par Claude Mettra, sur la Mystique musulmane : Le Zikhr ; Le Maître spirituel ; La connaissance de soi en Islam et dans le Christianisme ; Djalâl ud-Dîn Rûmi avec Eva de Vitray-Meyerovitch. Il participe aussi à d’autres émissions, avec Yves Jaigu, puis M. Cazenave et, en 1984, avec J. Kelen sur : Le Pays intérieur ; Le langage des Oiseaux.
En 1974 il participe à l’émission télévisée Arcana, consacrée à « Musique religieuse, musique sacrée » de Maurice Le Roux, avec Alain Danielou et maître Deshimaru.
Entre 1965 et 1988 il participe à de nombreux Congrès internationaux au Musée Social à Paris, et aux Colloques Interreligieux à Domus Médica, organisés par Pir Vilayat Inayat Khan. Au fil des années, de nombreux thèmes y sont abordés : L’Efficacité de la Méditation dans le quotidien (mars 1970) ; Les techniques de la Méditation (novembre 1970) ; Des temps modernes à l’Age Nouveau (1971) ; Le Masculin et le Féminin (1975) ; Intuition et imagination (1976) ; La méditation dans l’action (1977) ; Mutation de l’homme pour un monde Nouveau (1981), Dogmes et mystique dans les différentes traditions (1982)… Des nombreuses conférences de Mounir données dans ce cadre, on peut rappeler : La Mystique Soufie en mars 1966, Que serait une doctrine sans pratique dans le quotidien ? en mars 1982 etc…

En outre, Mounir Hafez donne des conférences, notamment sur les Structures symboliques et sacrées en Islam, et Résonances et substances de l’UN dans la mystique de l’Islam à Paris, à Rome, à Gênes. Krishnamurti dont l’amitié lui est si chère, l’invite à Blockwood Park dans son Ecole.
En 1982 Marie-Odile Monchicourt réalise une interview de Mounir sur « Mutation de l’homme pour un monde Nouveau ».
A la Faculté d’Assas en 1982, lors des Convergences spirituelles, il intervient avec le Dalaï Lama, David Bohm, N. Bamate, le pasteur Th. Dugan, Renzo Frana du Saint-Siège, Mgr. Gérémie du Métropolite Meletios, Pir Vilayat Inayat Khan, P. Massein moine bénédictin, J. Nasrallah Exarque d’Antioche, le pasteur A. Nicolas, M. Stourdzé, Swâmi Nityabodhananda.

Il est régulièrement invité par T. Deshimaru à l’Association Zen Internationale aux Entretiens de la Gendronnière, notamment sur La Non-Peur (1984), avec A. Desjardins, M.-M. Davy, le Dr. Chauchard neurophysiologiste, le Père Pelfrenne dominicain, B. Stevens scientifique belge, Ralph Winteler psychiatre de Neuchâtel, R. Misrahi, J. Delgado de Madrid, J. Mulethaler de Genève, Lama Tenpa Gyantso, le Professeur Mori de Tokyo, Maître Tamour (aïkido), Kenji Tokitsu (karaté). La conférence de Mounir est intitulée La non-peur est une offrande.
Sollicité par Jacques Berque et Yves Bonnefoy au Collège de France, il refuse de plus en plus la vie publique et les publications. Il appelle parfois ses anciens amis, Emil Cioran philosophe et écrivain, Jean Lacouture écrivain, Mme et M. Maurice Couve de Murville, Berto Fahri journaliste, Philippe Lavastine, et Lola, la veuve de son cher ami Bleeck.
En 1982, il est interviewé par TF1 sur G. Henein et les poètes égyptiens.
Ses dernières conférences publiques sont données pour Art’As à Vienne, entre 1984-88, intitulées “ Le Soufisme ”, “ Le Cœur éveillé ” et “ La migration du désir ”.
En 1984 Mounir est profondément affecté par la disparition de Henri Michaux, « son frère de lait » de toujours, duquel il avait écrit : « Son allégresse, sa férocité, sa tendresse on les a reconnues, sa lucidité, sa syntaxe de piano-fou et, bien sûr, sa façon à lui de s’aborder, d’aborder les choses, sa façon de mettre à nu avec sans-gêne et pudeur, d’un mot à peine frappé, mais sans appel. Son naturel ? Vigilance de combat plutôt, éclair du regard qui donne à toute son œuvre présence et gravité, provocation aussi, défi lancé aux choses pour qu’elles se montrent… ».


Passionné par la physique quantique qui nourrit ses réflexions, et dont il déploie les ouvertures qu’elle propose dans ses causeries et ses séminaires donnés à Paris et à Zürich, Mounir consacre les vingt dernières années de sa vie à ses groupes de recherche. H. Reeves, M. Cassé, B. d’Espagnat, I. Prigogine et I. Stengers, S. Hawking, K. Popper, O. Costa de Beauregard sont pour lui des références majeures. Il suit tous les développements de l’astrophysique et les parutions et ouvrages qui en rendent compte.
Insatisfait de l’enchainement de conférences qui ne permettent pas de dispenser un enseignement véritable, Mounir souhaite pouvoir intervenir régulièrement auprès d’un même groupe, constitué, même si évolutif. Dès la fin des années 1960, il anime donc ainsi plusieurs groupes en France, puis par après aussi en Suisse.