Témoignages de Jean-Jacques Luthi
Dans la lignée des surréalistes d’Égypte, émerge une figure d’exception : Mounir Hafez. J’avais appris qu’il habitait avec sa mère à Maadi, banlieue chic du Caire. Ami de Georges Henein, ce dernier m’avait muni d’un petit mot d’introduction, j’allais le voir. Il me parut avoir une trentaine d’années, maigre, légèrement voûté, m’accueillit dans son bureau qui devait aussi faire office de salon. Après le café traditionnel, je lui exposais le but de ma visite. Il ne se croyait pas poète, mais plutôt philosophe. En effet, il avait fait des études de médecine, de philosophie, puis des recherches sur l’histoire de l’alchimie et de la mystique. Je lui demandais quels sujets occupaient sa réflexion en ce moment. Il me répondit : « La viande de boucherie ! ». Je restais perplexe, se moquait-il de moi ? Non, il était sérieux. Certaines religions ne défendaient-t-elles pas à leurs adeptes d’en consommer, alors que d’autres le permettaient sous différentes conditions ? L’abattage même des bêtes était soumis à des rituels stricts, etc… Nous parlâmes également de francophonie. Pour lui, la littérature d’expression française en Égypte n’existait pas, sauf dans le cas de Georges Henein !…
C’est avec Mounir Hafez que je découvris un nouveau champ de recherche : la philosophie d’expression française en Égypte. Il me cita quelques noms : Naguib Baladi, Edgard Forti, Georges Georgiadès… que je rencontrais un peu plus tard. Par ailleurs, il s’était intéressé à Martin Heidegger, à Henri Michaux et à Fulcanelli qui, sans aucun doute, eurent une certaine influence sur l’évolution de sa pensée.
En 1961, je revis Mounir Hafez à Paris. Il suivait, depuis un certain temps déjà, les cours des Hautes Etudes, notamment ceux de Louis Massignon et de Henry Corbin. Nous passâmes alors de longs moments à remuer les cendres de nos souvenirs égyptiens. Je me souviens qu’il habitait alors un petit immeuble, rue Notre-Dame des Champs, près de la Closerie des Lilas. Il me pressa de reprendre contact avec Georges Henein et sa femme (Boula). Comme j’étais à l’époque pris par la rédaction de mon ouvrage sur l’histoire de la littérature francophone en Égypte, je négligeais sur le moment d’aller les voir, remettant cette visite à plus tard. Ce fut une erreur.
Jean-Jacques Luthi – « La littérature d’expression française en Egypte » – L’Harmattan – 2000